L’exception d’indignité : un écran à l’obligation alimentaire instaurée par l’article 205 du Code Civil
L’article 205 du Code civil dispose que :
« Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin. »
Quoi de plus naturel que d’apporter aide et secours aux parents ou grands-parents dans le besoin alors que ces derniers ont consacré une partie de leur vie, voir de leur carrière professionnelle au profit de leur progéniture.
Ce devoir inné chez certains enfants et oubliés par d’autres, est néanmoins érigé dans le Code Civil, anticipant ainsi les indélicatesses de ces derniers tentés d’échapper à leurs obligations les plus élémentaires.
L’obligation alimentaire est d’ordre public.
Dès lors, elle ne peut faire l’objet d’aucune renonciation ni être cédée. Toutefois, cette obligation n’est pas absolue et la réunion de certaines circonstances peut faire échec à sa mise en œuvre.
En effet gare aux indélicatesses des père et mère ou ascendants qui pourraient bien se retourner contre eux. Un rapport de réciprocité s’impose.
Sont concernés par l’obligation alimentaire les enfants issus ou non d’un mariage, de même que ceux qui ont été adoptés, étant précisé que l’adoption simple ne fait naître une obligation alimentaire que dans les rapports entre adopté et adoptant (art. 367 du Code civil).
A contrario, l’absence de lien de filiation fait obstacle à l’existence d’une obligation alimentaire. C’est pourquoi celle-ci ne peut naître dans les rapports entre les enfants d’un premier lit et le second conjoint de leur auteur (CA Paris, 8e chambre A, 19 mai 1992, Dalloz, 1993, p. 47) ou entre un concubin et le parent de sa concubine (Cass., civ. 1, 28 mars 2006, n° 04-10684).
Il ne suffit pas que d’être dans le besoin pour imposer une obligation alimentaire.
En effet, l’article 205 du Code civil se heurte à l’article 207 du Code civil qui dispose que :
« Les obligations résultant de ces dispositions sont réciproques.
Néanmoins, quand le créancier aura lui-même manqué gravement à ses obligations envers le débiteur, le juge pourra décharger celui-ci de tout ou partie de la dette alimentaire. »
On pourrait alors s’interroger sur le sens des termes « obligations » et d’ « alimentaire ».
L’aliment peut comprendre des frais de santé, de logement, d’habillement voir même des frais d’obsèques.
Il ressort de l’étude de la jurisprudence que la mise en jeu de l’alinéa 2 de l’article 207 du code civil est retenue dans des hypothèses dans lesquelles le parent s’est montré hostile envers l’enfant.
Le parent hostile envers son enfant aurait dès lors manqué à ses « obligations »
La jurisprudence a alors défini les contours de l’hostilité.
« Il y a lieu de décharger les descendants de leur obligation alimentaire à l’égard de leur mère dès lors qu’ont été démontrés des manquements graves de celle-ci à ses obligations tels que l’hostilité, les propos injurieux et dégradants à l’égard des enfants » (CA de Grenoble, 6 mai 1997, jurisdata :1997-043024)
Dans ces conditions, l’enfant est affranchi de son obligation alimentaire en prouvant le comportement gravement fautif de son parent à son égard. Il s’agit pour lui d’opposer au parent qui réclame les aliments son comportement critiquable. La doctrine reprise par la jurisprudence a parfois qualifié ce mécanisme « d’exception d’indignité » (Cass. Civ 1ère, 18 janvier 2007, n°06-10833).
Il ressort de l’étude de la jurisprudence que la mise en jeu de l’alinéa 2 de l’article 207 est retenue dans des hypothèses dans lesquelles le parent a délaissé totalement l’enfant, s’est continuellement montré hostile envers lui ou lui a fait subir des sévices.
Dans un arrêt rendu le 4 juillet 2013, la Cour d’appel d’Agen a accueilli l’exception d’indignité opposée par deux filles à leur père au titre de l’obligation alimentaire (CA Agen, 4 juillet 2013).
Celles-ci déclaraient, en effet, avoir subi des violences morales.
Elles avaient toutes les deux quitté la maison dès qu’elles avaient pu et étaient sans nouvelles de leur père depuis cette date, celui-ci ne connaissant pas leurs enfants ni leurs petits enfants.
Il ne s’était jamais manifesté auprès d’elles après leur départ.
Les séquelles sur le plan moral étaient attestées par deux certificats médicaux.
Si elles ne produisaient aucun témoignage de l’époque des faits, la Cour n’en est pas étonnée, relevant que les enfants se plaignent rarement de leurs conditions de vie et que la peur des représailles, ou d’être placés, ainsi que la honte, leur interdit de parler.
Par ailleurs s’étant fâchées avec toute leur famille, il n’était pas surprenant qu’aucun membre de la famille ne puisse témoigner.
Enfin, il a par ailleurs été jugé que le père ayant laissé à ses enfants des messages téléphoniques contenant des propos humiliants et injurieux, la cour d’appel a justement estimé que le père avait gravement manqué à ses obligations envers les débiteurs alimentaires (Cass. 1ère civ. 21 nov. 2012, n°11-20.140 : LPA 19 août 2013, 9).
Aujourd’hui encore, la Cour d’Appel de Riom dans un arrêt du 10 octobre 2017 fait une stricte application de l’article 207 alinéa 2 du Code civil dans un arrêt qui ne manque pas de rappeler que des paroles d’affection n’effacent pas les erreurs du passé (CA RIOM, 10 octobre 2017, n°16/02145).
En l’espèce, il était reproché à l’ascendant d’avoir prononcé des propos blessants et injurieux.
La Cour retenant alors que le parent manquait à son obligation de respect et de considération qu’elle devait à sa fille et de fait ne pouvait se prévaloir de l’obligation alimentaire, la Cour retenant ainsi l’exception d’indignité.
Moralité, l’obligation de respect s’inscrit dans la durée.
Article de Laëtitia BARDIN-ROUSSEL
Avocat au Barreau de Clermont-Ferrand et à la Cour d’Appel de Riom